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Et si le secret du bien-être se trouvait au bout de votre stylo ?

Photo du rédacteur: Catherine JubertCatherine Jubert

En quoi l’écriture en atelier est-elle thérapeutique ?


Alors que les effets thérapeutiques de la peinture, du modelage, de la musique, de la danse… ne sont plus à prouver, l’écriture, quant à elle, bénéficie encore d’une certaine défiance. Elle est souvent utilisée en complément ou à l’appui d’autres médiations, mais rarement seule. Il faut dire que l’écriture, objet de toutes les stigmatisations et dont la maîtrise est valorisée dans notre société, renvoie certains participants à de douloureuses situations d’échecs scolaires. Face à une médiation supposée élitiste, certains évoquent d’anciennes angoisses scolaires, en envisageant l’écriture non sous l’angle pur du plaisir, mais sous celui de la maîtrise orthographique, syntaxique ou même graphique. Leurs paroles en ateliers sont révélatrices de ces moments d’anxiété : « je n’ai jamais été bon en orthographe ou en rédaction », « je fais trop de ratures », « je crois que je n’ai pas respecté la consigne », « je ne vais jamais arriver à me relire », « est-ce que j’ai le droit de... ? ». D’autres évoquent des souvenirs d’enseignants traumatisants qui tapaient sur les doigts des enfants pour les obliger à écrire de la « bonne » main, la droite. Certains avouent être venus à l’atelier « la boule au ventre » mais être repartis « léger comme une plume ».

Que s’est-il donc produit entre ces deux moments d’atelier ? Quels sont les mécanismes et leviers propres au médium écriture qui ont levé les angoisses initiales et favorisé le changement dans le vécu de l’atelier ? Quels liens se sont réparés, retissés et ont permis de renouer avec le plaisir et avec soi ?

En d’autres termes, en quoi l’écriture est-elle thérapeutique ?


L’écriture comme de reprise entre soi et les autres.

Les notions de reprise et de « raccommodage » sont particulièrement pertinentes lorsque l’on parle de l’écriture de textes car la métaphore couturière nous renvoie à l’origine même du mot texte qui vient du latin textus, signifiant « tissu ».

L’écriture peut alors être comparée au tissage d’un tissu, reliant des signifiant les uns aux autres pour former un texte. De l’informe provient une mise en forme, une réorganisation du chaos des idées par la pensée. C’est ce que permettent par exemple les ateliers d’écriture de soi ou autobiographiques en favorisant la prise de recul par rapport à des événements passés, parfois traumatiques.

L’écriture n’est pas seulement le lieu de la reprise de soi à soi, elle est également inscription du corps dans l’espace

« L’écriture est affaire de mains et de corps peut-être avant d’être affaire de tête », écrit François Bon, animateur d’atelier d’écriture, auteur et dramaturge, intervenant auprès de publics divers. En atelier, chacun prend sa place, celle qu’il n’aime généralement pas voir occupée par d’autres, puis investit son espace de travail comme son territoire. Il suffit, en effet d’observer le corps de l’écrivant qui sort de la dispersion dans laquelle il se trouvait en pénétrant dans la salle, pour se rassembler, se relier à lui-même en se penchant sur la feuille. Il suffit d’entendre le bruit des stylos qui griffent le papier, le raturent pour y laisser une trace matérielle visible de tous. Cette concentration est toujours fascinante. L’investissement spatio-temporel de la page par l’écriture est une première inscription tangible de son rapport au monde et à l’autre. Même le choix de la prise en main du cahier, l’occupation de l’espace matériel de la feuille permettent de donner une première inscription de soi et offre une prise sur un univers qui tend parfois à se dérober. Il n’est qu’à voir la jubilation de certains participants à feuilleter leur cahier rempli de textes. « J’ai déjà écrit tout ça ! ».

L’écriture en atelier est loin de la pratique solitaire et de l’image romantique de l’écrivain dans sa tour d’ivoire. Elle est également une pratique sociale, culturelle et transgénérationnelle qui inscrit dans la relation à l’autre. Dans la mesure où l’écriture implique la présence d’un lecteur ou d’un auditeur, elle offre la possibilité d’être reconnu par autrui.

Dans Le créateur littéraire et la fantaisie (1908), Freud affirme que c’est la possibilité d’une prime de séduction qui suppose que la création établisse un lien entre créateur et spectateur. Être lu permet à celui qui crée, d’être reconnu et de bénéficier des présupposés toujours attribués au poète (gloire, richesse et, accessoirement, amour des femmes !)

Cette reconnaissance par l’autre (que ce soit le groupe ou l’art-thérapeute), cette écoute attentive et bienveillante que permet le cadre de l’atelier est primordiale car elle favorise la confiance, l’estime de soi et la l’inscription dans une forme d’altérité.

Si l’écriture peut être le lieu de la reprise entre soi et les autres, elle peut être également le lieu de la reprise psychique entre soi et soi.

Quels sont les liens psychiques que permet de renouer l’écriture ? Comment peut-elle parvenir à suturer, rapprocher les deux bords d’une déchirure ?

L’écriture comme mode de « reprise » entre soi et soi

Pour comprendre les fonctions psychiques de l’écriture, et comment elle peut être le lieu d’une reprise entre soi et soi, nous reprendrons la métaphore freudienne du « bloc magique » qui permet de décrire par analogie le fonctionnement de l’appareil psychique à celui d’une machine à écrire. Il s’agit d’un jeu pour enfant, une ardoise magique possédant un premier feuillet sur lequel ce qui s’inscrit en surface peut s’effacer, mais reste gravé dans la couche inférieure, sur un second feuillet. Ce qui s’inscrit sur un premier feuillet s’efface dès qu’on le soulève, ce qui le rend disponible pour une autre inscription, tandis que la trace subsiste en creux dans la cire du deuxième feuillet, dans notre partie inconsciente.

Cependant, il est possible de renverser la métaphore freudienne, en faisant de l’écriture, non plus une intériorisation mais une extériorisation du bloc magique interne. Ce qui se trouvait dessous, enfoui, remonte à la surface, transformé, métaphorisé par le travail même de l’écriture littéraire. A travers l’écriture se rejoue de manière détournée et supportable pour l’écrivant ce qui était jusqu’alors refoulé.

Ainsi, l’écriture n’est donc plus une tentative d’inscrire au dehors ce qui aurait déjà été inscrit à l’intérieur, mais justement ce qui n’a pu l’être, ce qui manque, ce qui est troué, déchiré et donc à reprendre, à réparer. L’écrivant va alors tenter de mettre en forme, de symboliser, ce qui n’a pu être inscrit psychiquement. On comprend alors combien l’écriture peut être intéressante et efficace dans les cas de traumatismes. Elle permet d’entamer, avec l’aide d’un thérapeute, un premier travail de réparation, de « suture ».

En atelier d’écriture thérapeutique, ce n’est pas tant la qualité littéraire qui est recherché, même si elle peut apparaitre de surcroît, c’est l’élaboration psychique. C’est la notion de transformation qui va faire partie des objectifs implicites de l’atelier. Or, cette élaboration et les changements induits par l’écriture ne peuvent se faire que dans le cadre d’un dispositif précis, celui de l’atelier thérapeutique.

Le cadre thérapeutique est essentiel. « Sa souple fixité », ses règles, ses rituels, la présence bienveillante du groupe et de l’art-thérapeute rassurent et contiennent les écrivants. J’entends par « fixité » l’ensemble des règles propres à l’atelier d’écriture liées aux différents temps de celui-ci : l’accueil du groupe, l’énoncé de la proposition, le temps de écriture, la lecture, les retours, le temps de la séparation, les limites temporelles. J’entends par « souple », cette dimension du jeu qui permet au « je » d’exister.


L’atelier comme aire de jeu transitionnelle

L’atelier d’écriture thérapeutique constitue un espace transitionnel où l’art-thérapeute introduit du « jeu » (au sens mécanique du terme) et le jeu par le caractère varié et ludique des propositions d’écriture (fiction, poésie, écritures de soi, jeux littéraires…) en alliance ou pas avec d’autres médiations comme la photographie ou le collage. Dans ce cadre, le jeu permet d’être dans une stratégie du détour face à des mécanismes défensifs, sans être dans une perpétuelle stratégie d’évitement. Ce jeu, outil de travail essentiel des ateliers d’écriture thérapeutique, permet en outre un « assouplissement psychique » de la personne (voir article « Je reviendrai lundi » sur une expérience d’atelier avec une personne âgée), la réorganisation de sa pensée, la sortie du ressassement et de la logique de répétition, la stimulation de la créativité et l’émergence d’une voix singulière au milieu des autres, en somme d’un « je ».

L’atelier forme comme une sorte de passerelle, un espace intermédiaire entre le sujet et la réalité extérieure qui permet aux écrivants de se reconnecter à eux-mêmes et au groupe.

En effet, l’atelier d’écriture constitue un espace/temps très particulier. Il existe bien une magie de l’espace artistique. Il suffit de voir l’air ahuri des participants lorsqu’on leur dit que le temps d’écriture est écoulé. « Déjà ? » disent-ils comme semblant sortir d’un rêve. Cet enchantement, cette « bulle » dont parlent souvent les participants est non seulement le fait de la médiation écriture, qui, un temps isole du monde et permet de se reconnecter à son moi profond, mais aussi au groupe qui constitue comme une seconde peau.

De cette dimension du jeu dans l’atelier d’écriture découlent des moments d’intenses émotions, de fous-rire, de sublimations, de pures jubilations littéraires et surtout de découvertes. N’est-ce pas l’essentiel ?

C’est l’inconnu qu’on porte en soi écrire, c’est ça qui est atteint. C’est ça ou rien, écrivait Marguerite Duras dans Ecrire.



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