Récit d’une expérience personnelle et de ses applications en photothérapie
Les débuts ?
Adolescente, je n’ai jamais tenu de journal intime à proprement parlé, n’en voyant pas l’intérêt. Ce n’est que plus tard, à l’âge adulte que j’ai commencé à publier un texte par jour pendant une année sur le site collaboratif Myspace. Ce blog baptisé « Chronicroquis » tenait à la fois de l’esquisse et de la chronique. Il relatait de manière incisive et humoristique mes réactions face à l’actualité, à des faits divers saugrenus ou des événements cocasses de ma vie. Une forme de journal en creux finalement.
Le projet ?
Depuis plusieurs semaines pour alimenter ma pratique de photothérapeute, j’ai entamé un journal photographique, appelé également Photobiographie ou Photojournaling en anglais. J’avais envie de partager ce travail, toujours en cours, et d’analyser les effets produits sur moi, espérant que l’expérimentation puisse profiter à d’autres et les aider dans leur démarche de développement personnel, de soin ou d’accompagnement thérapeutique.
Il faut savoir que j’adore me challenger. Les défis, parfois considérés comme ridicules par mes proches, renforcent toujours ma créativité et me stimulent. J’adore savoir que chaque jour, je vais avoir rendez – vous avec moi sous la forme d’un sujet à photographier. Je ne sais pas où va me mener cette « aventure » ni ce que je vais apprendre sur moi. C’est l’inconnu total ! Rien de plus stimulant que les bonnes contraintes que l’on s’impose. Pas de celles qui nous ligotent, mais qui nous libèrent. En réalité, cela tient plus du jeu que de la contrainte pour moi.
L’objectif de ce projet est simple. Il s’agit, à partir d’une photo, d’écrire un texte par jour pendant une année complète, soit 365 images + textes. Pour accompagner l’image, l’écriture s’est imposée de manière naturelle. Cela dit, rien n’empêche de s’en passer.
En dehors de la contrainte temporelle, j’en ai ajoutée une autre plus formelle, celle de la présentation : la date du jour, l’image (parfois 2) et le texte en dessous, sur une seule page de format A4. Si l’image du jour a été prise à une autre époque, empruntée à un autre artiste, cela n’a aucune importance, à partir du moment où elle exprime mes ressentis à un temps T.
Parallèlement à ce journal photobiographique, j’en tiens un autre, plus informel, une sorte de making off qui me permet d’avoir un point de vue réflexif sur la pratique de ce journal. Je me regarde en train de me regarder et j’analyse ce qui se passe en moi au fil de l’expérimentation. Une activité narcissique ? Non. Comment bien aider les autres sans connaitre les effets d’une pratique sur soi ?
Mon pacte photobiographique ?
Une question annexe, mais essentielle s’est très vite posée. Que faire de ce journal ? Le publier ? Le garder pour moi dans un dossier de mon ordinateur ? Penser à une diffusion future sous forme de livre-photo ?
Pour être honnête, j’avais besoin de ce projet autobiographique pour me poser un peu et ne pas sans arrêt penser. Mon cerveau est parfois une machine infernale qui a du mal à se débrancher, de jour comme de nuit. C’est usant !
Au tout début, j’ai commencé par publier sur 365project[1], une communauté qui diffuse quotidiennement des photos selon le même principe du journal que le mien. D’ailleurs, on trouve sur Instagram de nombreux projets arborant le hashtag #photoftheday. Au bout de 4 publications, j’ai renoncé et fait machine arrière toute. En regardant les images postées par les autres internautes, j’avais l’impression qu’elles manquaient de sincérité et qu’était plutôt privilégié l’aspect esthétique ou sensationnel plutôt que psychologique. Ah, cette infernale course aux likes ! Ce que je ne désirais pas. En réalisant ce journal, je voulais m’offrir la possibilité de faire des images moches, ratées, d’être au plus près de ce que je suis et de ce que je ressens avec le désir d'aller au-delà des apparences. En cela, je me rapproche du « pacte autobiographique »[2] théorisé par Philippe Lejeune[3] dans l’ouvrage du même nom. Mais ce pacte est-il vraiment transférable à l’image autobiographique ? Je jure de ne dire la vérité, rien que la vérité ! J’en doute ! Mais c’est une autre question. En tout cas, les réseaux sociaux ne permettent pas toujours cette approche, loin de là. Ce trop de réalité nous éloigne d’elle. La sincérité revendiquée étant souvent prétexte à exhibitionnisme. Comme je n’avais pas envie de me montrer, d’exhiber mon moi et mes secrets, je me censurais. Ce qui, n’est pas une bonne chose ! Cela peut paraître banal, mais ce fut une grande révolution pour moi. Je décidai donc que je ne photographierai et surtout n’écrirai plus que pour moi seule, sans rien divulguer. J’abandonne donc la toile. Je verrai par la suite ce que je ferai de ce travail.
Les effets ne se sont pas fait attendre. Je peux enfin me lâcher sachant que je ne serai pas lue, pas jugée, que mes photo ne seront ni commentées ni partagées et encore moins déformées par le prisme du regard d’autrui. Une forme de décroissance virtuelle en somme. Exit le journal extime [1] afin de retrouver une forme d’intimité. Mon écriture trouve alors un nouveau souffle et se libère des contraintes de la visibilité et du jugement.
Est-ce difficile et contraignant ?
Pas vraiment. Ce ne sont pas les images qui manquent, bien au contraire. J’ai l’habitude de prendre régulièrement des photos, je consulte également de nombreuses banques d’images pour réaliser mes photomontages. J’ai donc quotidiennement de la matière pour alimenter mon journal photographique. L’idée était également de sortir de ce flux chronophage et superficiel où l’œil ne fait qu’effleurer les photos plutôt que de les creuser. Très vite, chaque jour, une image s’impose aux autres ; naturellement, sans tergiversations futiles. Je ne cherche ni à comprendre ni à rationaliser, je prends juste ce qui vient à ma conscience…et à mon inconscient.
[1] Start your photo journal today! · 365 Project [2] Pacte autobiographique : contrat tacite de vérité entre auteur et lecteur. [3] Lejeune Philippe : Le pacte autobiographique, Points seuil, 1996
[1] Extime : relatif à la part d’intimité qui est volontairement rendue publique
Comment procèder concrètement ?
« Le photographe est un surfeur sur les crêtes de son existence »
(Gilles Mora, manifeste photobiographique)[1]
Il m’arrive de prendre des photos en me baladant avec mon chien, le matin ou le soir, ou à d’autres moments de la journée lors des différents trajets qui émaillent mon quotidien. Je peux également en extraire une de mon fond iconographique. Je rentre, je numérote, date l’image qu’elle soit ratée, médiocre ou bonne et j’écris. Le tout ne devant pas prendre plus de 15 minutes dans ma journée (autre contrainte que je me suis imposée). C’est ainsi que commencent presque toutes mes journées désormais. Une forme de discipline et d’assouplissement du corps et du regard se mettent alors rapidement en place.
Je prends ce qui m’interpelle au dehors, chez moi, dans mon travail, ce qui m’étonne ou fait échos en moi. Cela peut être futile ou profond. Peu importe, je fais feu de tout bois.
Progressivement, à mesure que le regard s’affine, une thématique est apparue. Comme je prends plus de temps dans mes balades quotidiennes, je vois davantage de petits détails auxquels je n’avais jamais prêtés attention auparavant, comme ces nichoirs à oiseaux numérotés telles de petites maisons perchées en haut des arbres. Sans doute pour faciliter la distribution du courrier chez nos amis les piafs ! Rapidement ma plume s’emballe. Bénéfice collatéral : l’image s’avère être un formidable embrayeur de fictions !
Face à ces étonnements répétés, j’ai introduit une phrase qui revient souvent dans le journal, une sorte de leitmotiv : « je n’avais jamais vu ». Il y a des tellement de choses que je n’avais pas remarquées sur mon trajet quotidien. C’est fou le nombre de nains et autres Blanche Neige dans les jardinets !
Une autre catégorie d’images est apparue, celle des rêves. Oui, mais comment photographier l’image d’un rêve m’objectera-t-on ? Le lendemain matin au réveil, alors que ma conscience est encore embrumée, je réalise un photomontage restituant l’ambiance et les sentiments du rêve. J’ai ainsi deux images pour le prix d’une seule, celle du rêve que je peux reconstituer par l’écrit et le photomontage qui renforce la symbolique du songe !
[1] Mora Gilles, Manifeste photobiographique in Traces photographiques, traces autobiographiques, sous la direction de Danièle Méaux et Jean Bernard Vray, publication de l'Université de Saint-Etienne
Quels sont le bénéfices de cette expérience ?
Cela nous conduit à ralentir le pas, mon chien et moi, à accorder nos souffles et à prendre le temps de regarder et de respirer pleinement. Cette activité relève de la Mindfull Photography[1], de la photographie de pleine conscience. Nous rentrons toutes deux plus détendues. De son côté, pendant qu’elle entame sa énième sieste réparatrice de la journée, j’écris. La journée peut alors commencer. C’est ainsi que se crée un rituel qui permet de prendre un temps pour soi dans le flux quotidien des tâches et des images.
On comprend combien alors la création de ce rituel peut aider certaines personnes à s’ancrer à nouveau dans la réalité, à (re)prendre contact avec elle, à ne plus marcher tête baissée, à se redresser, à se remettre en route et à prendre des décisions. Prendre le réel en main par le biais médiateur de l’appareil photo puis de l’écriture permet également de reprendre la main et de devenir le sujet de sa démarche. Cela peut-être une excellente activité pour les personnes souffrant de dépression par exemple. Il devient possible de sortir de la dispersion en se focalisant sur un objectif, un objet ou sur une thématique à explorer. Ainsi « cette discipline » quotidienne permet un d’assouplissement du regard, de l’esprit et du corps.
A mesure que le pas se ralentit, que le rythme cardiaque s’abaisse, le regard devient plus disponible, plus ouvert. Chaque image offre alors l’occasion de réenchanter l’ordinaire face à un quotidien qui pourrait sembler tristement banal.
Même l’espace le plus confiné, que ce soit celui d’une chambre, d’un couloir d’hôpital, d’une cellule ou de tout autre espace clos comme un bureau peut être un champ d’exploration et révéler des trésors insoupçonnés à qui sait/veut regarder. Pendant que j’écris, je regarde le reflet de la fenêtre et les ombres ondoyantes sur le mur blanc en face de moi. Une autre réalité s’écrit, mouvante et source d’inspiration. La photo devient alors comme un fil que l’on tire. Le regard se réveille, le monde se révèle à nous.
En s’affinant, le regard et la technique photographique s’affirment de jour en jour pour révéler une écriture plus personnelle de l’image. Une excellente occasion de se découvrir un style photographique grâce à un effet d’entraînement.
Le projet ne se résume pas à produire des images au jour le jour de façon continue. Revoir est aussi important que voir. En me penchant sur une image, je peux déceler des détails que je n’avais pas vus auparavant. Je m’arrête enfin, je prends le temps de regarder et d’analyser.
Pratiquer quotidiennement le journal photographique, c’est aussi se donner la possibilité de revenir en arrière, de jeter à nouveau un regard sur les photos qui ont été prises, de documenter et de constater concrètement les changements ou évolutions en soi. Je pense notamment à toutes les personnes souffrant de dépression ou à toutes celles se trouvant dans le cadre d’un processus de guérison ou de soin (anorexie, traitements contre le cancer, étapes du deuil…). Les applications sont innombrables.
Cette pratique permet de faire des liens entre les images, d’y voir des répétions, de revenir sur le chemin parcouru et sur son passé. La photo du lendemain fait échos à celle de la veille et vient l’approfondir par un dialogue souterrain entre elles. Progressivement des fils se tissent entre les images et nous racontent de manière détournée et symbolique.
[1] Photographie de pleine conscience, proche de la méditation.
"J’ai réalisé plus ou moins consciemment cette photo. Je voulais que le brin d’herbe se trouve dans l’axe de l’arbre. Pas facile, le vent ne cessait de le balloter de droite et de gauche. C’est d’une image comme ça dont j’avais envie. Une image qui reflèterait l’alignement des choses et mon sentiment du moment. Ce fut le cas lors de ce week-end improvisé à la dernière minute. Un rayon de soleil qui vient déchirer le ciel gris et exalter le jaune du champ de colza; à tel point que l’on ne sait plus si c’est le ciel qui éclaire le champ ou le champ qui illumine le ciel. Ce petit arbre solitaire, bras écartés, tendus vers l’infini et détaché des autres massés au loin. S’avance -t-il vers eux ou s’en détache-t-il ?"
Quel est le rôle de l’écriture dans le processus ?
N’est-elle pas redondante ?
En ce qui me concerne, le rapport entre le texte et l’image est la pièce maîtresse du dispositif. La photographie ne doit pas être au service de l’écriture et inversement. Elles doivent se nourrir mutuellement. Certes, le texte permet d’inscrire l’image dans un système de sens, que l’image ne possédait pas forcément au départ.
Dans une moindre mesure, l’écriture possède une valeur informative, grâce à l’ajout de commentaires, dates, lieux, circonstances…Le tout recontextualisant l’image afin de favoriser une réminiscence ultérieure. C’est le rôle des annotations dans un album photo par exemple. Mais, à partir du moment où déjà un titre est ajouté, le texte confère à l’image une dimension interprétative.
La photographie seule ne devient autobiographique (photobiographique) au sens littéraire du terme que grâce au discours introspectif et rétrospectif que l’on fait sur elle. Accompagner ses images de textes permet déjà de stabiliser ses pensées, de sortir de la dispersion du moi, mais aussi de les creuser. En écrivant, je m’interroge sur le choix de l’image, sur mes ressentis aux différentes étapes, sur les réminiscences suscitées, sur les raisons qui m’ont poussée à prendre tel ou tel cliché, sur ce que je vois ou aussi ne vois pas, sur le hors champ, sur les liens avec les autres images du journal… Il est possible dans une forme d’intertextualité iconographique de faire des liens avec d’autres photographies du journal, de les mettre en regard les unes des autres, de les faire dialoguer entre elles ou de créer une narration en les redistribuant pour se raconter autrement.
Et au bout des 365 jours ? Stop ou encore ?
C’est à vous de voir, mais vous constaterez combien cette pratique est addictive et renouvelle votre regard, votre rapport à vous-même et aux autres. Marcher, flâner, respirer, photographier, écrire, réfléchir, imaginer, fantasmer, créer, être acteur du changement en somme…autant d’actions qui sont bénéfiques pour le corps et l’esprit. C'est une bonne thérapie, on en redemande !
Enfin, afin que cette pratique puisse être pleinement thérapeutique, il est conseillé d’être accompagné par un professionnel, psychologue ou photothérapeute qui vous guideront, grâce à des techniques d’échanges, à vous explorer à travers les images.
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